Le procès de FTX, plateforme d’échanges de cryptomonnaies ayant récemment fait faillite, vient débuter à New York, et son fondateur Sam Bankman-Fried devra répondre à plusieurs accusations de fraude, de blanchiment et de violation des lois sur le financement des campagnes électorales. Une affaire hors norme qui relance le débat sur la nature de la décentralisation des crypto-actifs. Cyril Grunspan, Directeur de l’Institut des Crypto-Actifs du Pôle Léonard de Vinci et Responsable de la majeure Fintech de l’ESILV, nous aide à y voir plus clair dans cette tribune exclusive pour Forbes France.
Le procès retentissant de Sam Bankman-Fried (SBF) donne une nouvelle fois l’occasion au monde entier de se tourner vers l’économie des crypto-actifs. On désigne par ce terme toutes sortes d’actifs virtuels, qu’ils aient pour ambition de devenir des crypto-monnaies ou de simples actifs numériques soumis à l’offre et à la demande. SBF est accusé d’avoir détourné au profit de sa propre société de trading, l’argent des utilisateurs de FTX, une plateforme d’achat et de vente de crypto-actifs qu’il avait par ailleurs créé.
Les clients de cette plateforme étaient particulièrement attirés par un crypto-actif un peu particulier : le FTT. Il s’agit d’un actif numérique directement contrôlé par la plateforme, et conçu comme crypto-actif utilitaire (qui aident à la capitalisation ou au financement de projets pour des startups) octroyant des avantages aux utilisateurs de FTX. Concrètement, ce crypto-actif très centralisé avait autant d’intérêt qu’un papier monnaie du jeu Monopoly. Mais la popularité de la plateforme avait contribué à faire du FTT un crypto-actif majeur dont la capitalisation boursière a atteint environ 3,5 milliards de dollars au moment de sa chute en novembre 2022. Tout cet argent est parti en fumée et la plupart des utilisateurs de FTX ont été ruinés…
Il nous semble cependant important de dire que la chute de FTX n’est pas ici la conséquence d’une faille de sécurité dans un quelconque protocole blockchain mais d’une politique financière manifestement calamiteuse et en particulier d’une gestion des risques inexistante. La confiance dans les crypto-actifs n’a pas été véritablement altérée par ce scandale financier. En témoigne le cours bitcoin qui n’a cessé de croitre depuis le début de l’année (plus 120% au moment où j’écris ces lignes).
Pour appréhender le monde des crypto-actifs, son fonctionnement et ses faiblesses, et pour que la justice puisse faire son travail, il faut comprendre deux piliers majeurs de cette économie : le staking et le minage. Le premier a fait ses preuves dans des projets plus ou moins centralisés comme FTT.
Le minage et le staking : des sujets qui donnent à réfléchir
Tous les crypto-actifs dits utilitaires, qu’ils soient aujourd’hui créés par Binance, Bitfinex, OKX ou le défunt FTX fonctionnent plus ou moins de la même façon. Ces plateformes d’achat et de vente de crypto-actifs encouragent leurs clients à s’en procurer et à en détenir sur le long terme (sans pouvoir immédiatement les revendre) en échange d’une récompense d’autant plus importante que l’on a investi beaucoup au départ. C’est le « staking » qui est nécessaire au bon fonctionnement du crypto-actif mais ressemble en pratique à un simple plan d’épargne pour un utilisateur normal. Il s’agit d’une alternative plus respectueuse de l’environnement au minage qui lui, conduit à une débauche énergétique.
Pour comprendre la différence, il faut parler des acteurs appelés validateurs qui mettent régulièrement à jour la base de données des transactions effectuées. Dans un cas le validateur en charge de l’enregistrement d’un nouveau paquet de transactions est désigné automatiquement par le protocole sans effort particulier. Dans l’autre, c’est le premier à obtenir un résultat juste à un calcul, ce qui ne peut se faire qu’en faisant tourner des machines à plein régime.
Certains estiment que la qualité de décentralisation d’un crypto-actif fonctionnant grâce au « staking » est inférieure à celle faisant appel au minage. Il s’agit d’un débat complexe qui tient essentiellement au fait que tous n’accordent pas le même sens au mot « décentralisation ». Les uns pensent qu’il y a décentralisation dès lors que des transactions circulent sur un réseau pair-à-pair sans qu’elles aient besoin d’être validées par des banques. Les autres ont une vision plus politique et considèrent qu’il y a décentralisation s’il y a absence totale d’acteurs ou institutions pouvant influencer fortement la gouvernance du crypto-actif.
Quoiqu’il en soit, considérant qu’il s’agit là d’une activité financière déguisée (sans les obligations de conformité), l’équivalent américain de l’autorité des marchés financiers, la SEC, a forcé Kraken, une autre plateforme d’échange de crypto-actifs, à mettre fin à ses activités de staking. Elle l’a donc condamné à une amende de 30 millions de dollars en février dernier. Mais le « staking » concerne quasiment tous les crypto-actifs aujourd’hui, dont Ethereum. Il faut tout de même souligner l’exception notable de Bitcoin qui fonctionne grâce au minage. L’ensemble des crypto-actifs doit ainsi craindre un durcissement réglementaire avec une éventuelle interdiction du « staking » purement et simplement. Un projet de loi en ce sens a été rejeté au Congrès des Etats-Unis en début d’année mais pourrait revenir. En ce sens, Satoshi Nakamoto déclarait en novembre 2008 que « les gouvernements étaient particulièrement doués pour couper les têtes de réseaux centralisés ».
En suivant une analogie faite par Satoshi Nakamoto, on pourrait comparer certains crypto-actifs à la plateforme de partage de fichiers musicaux Napster. Cette dernière avait dû transformer radicalement ses activités à la suite d’une action en justice pour violation des lois sur les droits d’auteur. Son procès et sa condamnation avait marqué les esprits à l’époque. De façon similaire, la question cruciale entourant le fonctionnement décentralisé des crypto-actifs sera vraisemblablement tranchée par le système judiciaire. Seuls les États jugeront concrètement de la qualité de décentralisation d’un réseau de crypto-actifs.
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